Dernière modification le 28 février 2019 par jeff
Poser la question de l’utilité des devoirs à la maison suffit à passer pour un adepte du laisser-aller et au pire pour une apologie à la fainéantise. Ne réussit-on pas par un travail supplémentaire à la maison ? Les devoirs à la maison ne sont-ils pas synonymes de garantie pour une réussite à l’école ? Pas si sûr.
Article et texte : Jean-François MICHEL (Auteur « Les 7 profils d’apprentissage » Éditions Eyrolles 2005, 2013 et 2019)
Les devoirs, c’est un peu la bête noire chez l’écolier, notamment chez les adolescents. Après avoir passé des heures à l’école, assis sur une chaise, ils repartent à la maison où une montagne de devoirs les attende. Et les spécialistes de l’éducation et les psychologues, notamment aux États-Unis, sont mitigés quant à l’efficacité des devoirs où les avis sont partagés entre deux tendances :
– Les devoirs le soir renforceraient ce que les élèves ont appris pendant la journée.
– Les devoirs, le travail supplémentaire, créeraient un stress inutile et contreproductif pour les enfants et les adolescents : ce stress et la fatigue nuiraient à la capacité de concentration et à la qualité de sommeil. Cela serait d’autant plus vrai chez les adolescents en lycée qui ont l’échéance du bac et de l’orientation en face d’eux.
Qui a raison ?
En France, système éducatif basé sur l’excellence et la sélection, les avis vont plus dans le sens « plus on travaille à la maison, mieux c’est ».
Il est utile d’approfondir cette question, car travailler plus ne veut pas dire travailler mieux ou travailler efficacement.
Une étude a été menée au profit du Better Sleep Council (BSC) [1], donne des éléments de réponses intéressantes [2].
– Les étudiants qui se couchent plus tôt et se lèvent plus tôt réussissent mieux leurs études que ceux qui se couchent tard, même si ce temps est consacré à faire les devoirs. Cette conclusion rejoint les résultats des recherches de l’université de Stanford menées la spécialiste de l’éducation Denise POPE auprès de plus de 4 .700 étudiants. La chercheuse avertit sur le piège des devoirs à la maison chez les étudiants, notamment chez ceux qui étudient dans les grandes écoles [3 et 4].
– Le stress lié aux devoirs est la source de frustration la plus importante chez les adolescents (pour 74% des personnes interrogées).
– Le stress et les devoirs excessifs s’ajoutent aux pertes de sommeil, explique le BSC. Selon l’enquête, 57% des adolescents ont déclaré ne pas suffisamment dormir, 67% ont déclaré ne recevoir que cinq à sept heures par nuit, loin des huit à dix heures recommandées.
Le saviez-vous ? En France les devoirs à la maison pour les enfants en maternelle et en primaire sont interdits depuis 1956
Eh ! Oui, vous ne rêvez pas, les devoirs à la maison en France sont interdits pour les élèves de primaire et de maternelle. Il faut bien comprendre que les devoirs ne sont pas, en soi, pas interdit, ils ne doivent pas être réalisés à la maison. L’arrêté du 23 novembre 1956 (B.O. n° 42 du 29.11.56, p. 3005 ; 100-Pr-& II a, p. 9) aménage les horaires des cours élémentaires et moyens des écoles primaires de façon à dégager cinq heures par semaine pour la rédaction des devoirs.
Mais dans la pratique cela n’est pas aussi strict. Car il y a l’inquiétude légitime des parents et la croyance sociétale tenace (pourtant fausse) qu’un bon professeur, un bon enseignant donne des devoirs à la maison. Selon un sondage Ifop de 2012, 70% se déclaraient que les devoirs à l’école étaient utiles et devaient être maintenus.
Efficacité du travail et bon développement de l’enfant
Des études concernant l’efficacité du travail scolaire en lien avec la santé des enfants ont montré que le développement normal physiologique et intellectuel d’un enfant de moins de onze ans s’accommode mal d’une journée de travail trop longue. Et donc un travail supplémentaire à la maison serait plutôt inefficace, voire même contre-productif.
Pour professeur Bernard Rey, du centre de recherches en sciences de l’éducation de l’ULB (Belgique) « sauf peut-être pour certains aspects des apprentissages, lorsqu’il s’agit de répéter. Par exemple, une table de multiplication. Ce peut être utile pour l’enfant de répéter un peu pendant cinq minutes chaque soir durant un mois. Mais dès qu’on passe à des apprentissages un peu plus compliqués, la maison n’est pas le bon endroit. » [5]
Six heures de classe c’est un temps maximum à ne pas dépasser. Au-delà tout travail supplémentaire à un rythme soutenu ne peut qu’engendrer qu’une fatigue nocive à la santé physique et à l’équilibre nerveux de l’enfant. De plus le travail écrit réalisé hors de la classe, hors de la présence de l’enseignant ou du professeur n’a qu’un intérêt éducatif limité. Pourquoi ? Car, les conditions matérielles et psychologiques souvent mauvaises. Enfin les parents ont rarement le temps de s’occuper avec sérieux des devoirs de leurs enfants (à moins que ceux-ci soient professeurs des écoles).
Le rapport de l’inspection générale de l’Éducation nationale indique que les élèves sont rarement initiés aux méthodes qui leur permettraient plus aisément de travailler en autonomie [6]
C’est ainsi qu’aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, n’est demandé aux élèves hors de la classe. Cette recommandation a un caractère obligatoire et les inspecteurs départementaux de l’enseignement du premier degré sont invités à veiller à son application stricte.
Cette opinion est également partagée par les spécialistes anglo-saxons. Par exemple l’ancienne directrice de l’école King Alfred School Mme Moore milite pour l’absence de devoir et indique : « Que les devoirs nuisent à l’éducation des enfants et détruise la vie de famille. » Elle rajoute : « Les élèves avaient besoin de faire une pause travail le soir. L’après-école est l’occasion de se divertir et de se ressourcer. Les devoirs à la maison créaient beaucoup de tension entre les parents et leurs enfants. »
Elle se dit très préoccupée par l’idée que des enfants de 8 à 9 ans puissent faire deux à trois heures de devoirs par jour. Cela uniquement sous la pression sociale. [7]
Les devoirs dans les autres pays : que dit le rapport PISA de l’OCDE ?
L’étude PISA de l’OCDE de 2012 a constaté qu’en moyenne, les élèves de 15 / 16 ans travaillent à leurs devoirs 4,9 heures par semaine. Mais cette durée varie selon les pays : à Shanghai c’est 13,8 heures, en Russie, en Irlande, à Singapour, en Italie, c’est environ 7 heures de devoir par semaine. Chiffres en contrastes avec la Corée ou en Finlande (pourtant pays en tête dans le classement PISA sur l’éducation) où les élèves n’ont « que » 3 heures de devoir.
Le rapport note un lien entre le fait de faire des devoirs et l’amélioration des performances scolaires notamment en mathématiques. Mais il précise qu’au-delà d’une moyenne nationale de 4 heures de devoir hebdomadaires, le temps supplémentaire consacré aux devoirs n’a qu’une influence négligeable sur les performances scolaires.
La faiblesse de cette étude est qu’elle n’indique pas si les devoirs sont réalisés à l’école ou à la maison. Quelles seraient les bonnes pratiques ?
Des heures dédiées le soir aux devoirs à l’école
Les devoirs devraient être réalisés durant le temps d’étude. La plupart du temps c’est le cas en France ce qui est une bonne chose en soi. Mais cette bonne pratique n’est pas forcément mise en place dans un souci d’efficacité, car de plus en plus des parents quittent leur travail tardivement. Ainsi les temps d’étude après les cours prennent la forme de garderie.
Ce temps d’étude serait plus efficace si l’élève pouvait être accompagné, avoir un aide personnalisé dans la réalisation de ses devoirs. On ne peut pas mettre à disposition des enseignants même si certains se mobilisent à titre bénévole.
La possibilité d’une aide personnalisée par des initiatives associatives
D’où la légitimité du recours à des associations d’aide aux élèves. Par exemple L’association Cravant Solidarité s’occupe de l’aide aux devoirs pour les enfants de l’école primaire. En collège il y a l’association ZUP de Co
En Belgique il y a le réseau des écoles des devoirs. Les écoles des devoirs sont un milieu d’accueil pour les enfants de 6 à 18 ans, indépendant des écoles. Les écoles des devoirs sont ne sont pas qu’une aide aux devoirs ou un soutien scolaire. Elles proposent d’autres activités pour aider les jeunes à se développer (des ateliers pour « apprendre à apprendre », des activités culturelles, ludiques, sportives, citoyennes … ).
En France ces structures ne sont pas organisées en réseau et relèvent plus des initiatives, des besoins, des possibilités locale.
Apprendre à l’enfant à devenir autonome
Plus que la réalisation des devoirs, apprendre à développer l’autonomie chez l’enfant et l’élève est le meilleur moyen de l’orienter vers la réussite notamment la réussite de son parcours scolaire. Face aux échecs inhérents à tout apprentissage, l’enfant qui aura appris à être autonome pourra être proactif et saura chercher de l’aide et exprimer une demande d’aide précise.
Un enfant, qui aura été habitué à la tâche mécanique et répétitive des devoirs, aura du mal à réagir correctement face aux difficultés. D’autant plus, s’il est fatigué par les heures de devoirs à la maison. Il risque alors de développer une attitude passive et de se laisser emporter par l’échec.
Le niveau d’autonomie que l’on peut demander à un enfant dépend bien évidemment de son âge. À chaque âge correspond un développement cognitif.
Entre trois et cinq ans, moment de l’école maternelle, le langage se développe à vitesse « grand V ». On doit donc apprendre à l’enfant à exprimer ses souhaits. On doit aussi commencer à lui apprendre à manger, dormir et s’habiller seul, ainsi qu’à acquérir les règles basiques d’hygiène. Inutile de lui demander le soir de réviser son alphabet en faisant des exercices seuls.
Entre six et huit ans, âges de l’école primaire , l’enfant gagne en responsabilité et maturité à l’école. On peut alors lui apprendre à organiser son temps libre et à faire ses devoirs de manière relativement autonome.
Entre huit ans et l’adolescence, l’enfant commence avoir une compréhension de la réussites ainsi que de ses échecs.
C’est à cet âge-là qu’on peut commencer véritablement à le responsabiliser davantage comme pour la planification de son temps libre et des exercices à faire.
Règles simples pour l’autonomie
Au-delà de l’âge donc de son degré de maturité, voici quelques règles simples pour faire apprendre et développer l’autonomie chez l’enfant.
– L’atteinte des objectifs : bien entendu la fixation d’objectifs doit être adaptée avec l’âge de l’enfant. Dès le plus jeune âge, on peut lui demander de ranger sa chambre avant de la quitter ou de s’endormir. À partir de 8 ans, on peut être plus exigeant en fixant des objectifs écrits en matière d’acquisition de connaissances. Ces objectifs doivent être précis, réalistes et ne dépendent que de l’enfant. Lui fixer un objectif en matière de notes ne dépend pas forcément de lui.
– La cohérence et la responsabilisation : un enfant doit comprendre que s’il ne travaille pas assez durant ses cours, n’est pas assez attentif il ne peut pas avoir de bonnes notes. Cela peut prêter à sourire mais nombreux sont les enfants qui rejettent la responsabilité sur les enseignants, un contrôle trop dur.
– Le jeu : le jeu convient plus particulièrement dans l’éducation des enfants en bas âge, il s’agit moins de leur imposer des choses que de les encourager. Le jeu peut être un excellent moyen. Mais attention de ne pas donner une certaine dépendance de l’apprentissage par le jeu. Tous les apprentissages ne peuvent pas se faire par le jeu.
– La réflexion sur les réussites et les échecs : plus l’enfant grandit, plus il est important de la relativiser ce qu’est l’échec et ce qu’est la réussite. Certains enfants seront, plus que d’autres, plus sensibles à ces aspects. Par exemple pour les élèves de tendance perfectionniste. La notion d’échec doit, absolument, être relativisée. C’est le cas aussi pour des élèves centrés sur la réussite. Si la notion de réussite s’avère trop élevée, ils risquent de se décourager et perdre confiance. Sur ces aspects voir les 7 profils d’apprentissage.
– Le soutien moral : c’est un aspect absolument fondamental chez l’enfant. C’est sur la base du soutien moral, notamment de la part de ceux qui sont importants à ses yeux, à savoir ses parents, que l’enfant développe une estime de soi et, une confiance en soi qui sont la base même de toute réussite scolaire.
Devoirs ou pas ?
La question finalement n’est pas là. Il ne s’agit pas non plus de tomber dans un laxisme où il l’élève n’aurait aucun devoir. Ni d’ailleurs d’encourager le bachotage à la maison. Il s’agit de trouver un équilibre tout en sachant qu’un enfant, qu’il soit adolescent ou non, verra son efficacité diminuer avec la fatigue et le stress. Le danger est que face à l’échéance d’examens, de la pression d’une orientation un cercle vicieux s’enclenche : la baisse de productivité et d’efficacité amène à travailler plus longtemps ce qui renforce la fatigue et le stress. Bref la voir assurée vers l’échec.
Votre rôle de parent est de percevoir dans quelle zone se situe votre enfant. Et parfois il sera plus efficace de l’amener à faire une pause pour prendre du recul et se reposer pour mieux repartir.
Article et texte : Jean-François MICHEL (Auteur « Les 7 profils d’apprentissage » Éditions Eyrolles 2005, 2013 et 2019)
la manière dont se déroulent les cours n’est pas la même dans les pays comparés, cela ne peut qu’influer sur la quantité de devoirs que les enfants se voient octroyés à la maison, et sur le facteur stress et sommeil ( si la classe est bondée, je n’ai pas pu me concentrer , donc comment je pourrais réinvestir ou apprendre les notions à la maison ?)
Les devoirs sont en effet un point épineux mais impossible à éviter car dans les faits, il y toujours du travail de réactivation à faire en dehors du temps de classe. Comme vous le dites justement, il ne doit s’agir que de répétitions: leçons, tables, dates…qui nécessitent un entraînement court mais récurrent.
Professeure des écoles, je m’en tiens à cette pratique.
Je suis par ailleurs absolument d’accord que les devoirs peuvent être un vecteur d’autonomisation et de responsabilisation de l’enfant vis-à-vis de ses apprentissages.